Connu du grand public pour être la matière dont on fait les mines de crayons, le graphite trouve de nombreuses applications dans les processus industriels, notamment grâce à son exceptionnelle résistance à la chaleur. La société Agilis Engineering, créée en 2009, s’est fait une spécialité de l’usinage et de l’entretien de pièces en graphite. Isabelle Saint-Antoine en est cofondatrice.
Quel parcours vous a menée à la création de la société Agilis Engineering, dans un domaine où l’on croise peu de femmes ?
« En effet, rien ne me prédestinait à la création d’une société industrielle. J’ai un profil marketing / commercial et j’ai démarré ma carrière dans la grande consommation, d’abord dans les cosmétiques bio puis dans l’agroalimentaire et plus précisément le chocolat. Cependant, mon parcours m’a amenée à la direction commerciale d’une entreprise de matériaux en carbone et graphite. Avec mes collègues Baptiste Cristini, directeur de production, et Pierre Wolff, directeur du site, nous souhaitions avoir une approche plus globale et innovante dans le domaine des applications haute température utilisant du graphite. Lorsque le groupe a refusé l’investissement nécessaire à la prise d’une grosse commande pour un nouveau client, le graphite n’étant pas considéré comme le coeur de métier de l’entreprise ni prioritaire pour les investissements futurs, cela a déclenché notre décision de créer notre propre entreprise. Avec mes deux collègues, nous nous sommes donc lancé le défi de créer une société pour pouvoir mettre en oeuvre notre approche et notamment servir ce client. Nous avons choisi le nom Agilis Engineering pour suggérer la flexibilité et la recherche de solutions.
Pourquoi au Luxembourg ? Quelles opportunités y avez-vous rencontrées ?
« La localisation s’est faite tout naturellement au Luxembourg, car c’est là que nous travaillions déjà. Nous avons fait nos premières démarches auprès de Luxinnovation, qui a été très réceptif et très réactif et nous a apporté une aide réellement précieuse. Très vite, il nous a orientés vers le concours Business Plan 1,2,3 Go et nous a introduits auprès de l’incubateur Ecostart (rattaché désormais au Technoport, ndlr). Nous avons remporté un prix de 5.000 euros grâce au concours 1,2,3 Go, qui a constitué notre premier versement sur le compte de la société, et Ecostart nous a fourni un bureau à loyer modéré, a mis un local serveur à notre disposition et nous a accompagnés dans notre projet. Je ne sais pas si nous aurions trouvé ailleurs un environnement aussi business friendly.
Quelque temps après, vous avez bénéficié d’un business mentoring, qu’est-ce que cela vous a apporté de plus ?
« Les sociétés hébergées par Ecostart faisaient partie de la cible naturelle de la démarche BusinessMentoring. Bien qu’intéressée par cette initiative, je craignais vraiment de ne pas avoir assez de temps à y consacrer, car nous étions encore au tout début de notre aventure entrepreneuriale, et c’était très prenant. Mais Rachel Gaessler a su me convaincre, et heureusement car c’était l’époque où nous avions constaté qu’il était indispensable de nous doter de notre propre atelier d’usinage pour ne plus être tributaires de sous-traitants. Mon mentor avait eu plusieurs expériences d’aménagement d’ateliers, et il nous a été d’une aide très précieuse pour effectuer les démarches nécessaires auprès du ministère de l’Économie et du ministère de l’Environnement pour obtenir les autorisations commodo /incommodo. Il m’a aussi conseillée pour les relations avec les banques pour obtenir le financement de nos machines. Nous avons pu monter notre atelier en neuf mois.
Aujourd’hui, quelles sont les clés du succès de l’entreprise ?
« Nous sommes les seuls en Europe à proposer de fournir à la fois l’usinage de pièces en graphite et tous les services qui accompagnent le cycle de vie complet de ces pièces. C’est-à-dire que nous pouvons proposer tout ou partie des étapes suivantes : conception de la pièce, prototypage, fabrication en série, décontamination / nettoyage, réparation et même recyclage. Une fois qu’un client travaille avec nous, il peut donc réaliser d’importantes économies car nous lui permettons d’utiliser ses pièces plus longtemps. Le savoir-faire d’Agilis est d’autant plus efficace que les pièces sont complexes. Cela fait partie de notre valeur ajoutée.
Nous faisons tout ce qui est possible pour offrir flexibilité et réactivité. Nous essayons de répondre aux demandes de devis en 24 heures, nous élaborons le plan des nouvelles pièces très rapidement et nous optimisons en permanence notre production. C’est notre façon de satisfaire nos clients, et c’est ce sens de l’efficacité qui les fidélise. Enfin, nous cherchons sans cesse à innover, car sans innovation, nous prendrions le risque de perdre en compétitivité. Par exemple, c’est pendant les années de crise que nous avons élaboré un nouveau procédé de nettoyage chimique des pièces, grâce à une collaboration avec un laboratoire allemand.
Comment trouvez-vous de nouveaux clients ?
« En règle générale, la curiosité paie. Nous nous rendons sur de nombreux salons, qui n’ont pas toujours un rapport direct avec notre métier, pour identifier des débouchés. Nous lisons également la presse professionnelle. Nous nous intéressons à beaucoup de domaines, car les pièces en graphite trouvent des applications dans beaucoup de secteurs, comme le solaire, l’écomobilité, les techniques de dépollution, les machines-outils…
Trouver un nouveau client peut prendre entre six mois et quatre ans, mais ensuite, en général, les clients restent, sauf si leur activité ou leur usine disparaît. Heureusement, nous ne sommes pas dépendants d’une branche ou d’un secteur particulier.
Vos services suivent le principe de l’économie circulaire. Est-ce que vous constatez une motivation écologique chez les clients qui s’adressent à vous ?
« C’est une préoccupation qui nous tient à coeur. Nous-mêmes essayons de produire le moins de déchets possible dans nos processus de fabrication. Petit à petit, nous arrivons à faire passer cette idée à nos clients, mais les meilleurs arguments restent d’ordre économique. Prenons par exemple le recyclage des pièces en fin de vie. Tant qu’il sera plus économique pour nos clients de faire enlever leurs pièces usagées pour être jetées ou brûlées plutôt que de les faire nettoyer pour être réutilisées sous une autre forme, ce service aura du mal à se développer. Il faudrait une incitation, fiscale ou réglementaire, pour que les choses changent réellement.
Quel est le profil des employés d’Agilis Engineering ? Trouvez-vous facilement les personnes dont vous avez besoin ?
« À l’atelier, nous avons besoin de personnes sachant programmer les machines. Pour cela, il faut une formation de tourneurfraiseur qui n’existe pas au Luxembourg. Nous trouvons ces profils dans la Grande Région. Au-delà de l’aspect technique, nous recherchons des gens autonomes, qui s’intègrent bien dans notre petite équipe informelle. Chacun est très responsabilisé et peut prendre des initiatives, tout en respectant les processes, bien entendu.
Votre société est membre du Luxembourg Materials & Production Technologies Cluster. Qu’est-ce que cela vous apporte ?
« Ce type de réseau est parfait pour nouer des contacts et échanger des idées. Cela nous permet de faire de la veille. Cependant, il est très difficile pour une petite structure comme la nôtre de se rendre disponible pour participer aux différents événements organisés.
Quelles sont les perspectives d’avenir d’Agilis Engineering ?
« Cela fait bientôt cinq ans que nous sommes hébergés au Technoport. Or, c’est la durée maximale prévue. Nous devons donc trouver de nouveaux locaux. Et comme il n’est pas facile de trouver une surface intermédiaire à louer ou à acheter, nous avons décidé de faire construire nos propres locaux, sur la nouvelle zone d’activités de la région ouest (Zaro), située à la frontière belgo-luxembourgeoise. Nous allons y avoir 1.200 m2 de bureaux et d’ateliers. En parallèle, nous réinvestissons également dans notre parc machines. Nous prévoyons de déménager pendant les congés de fin d’année pour pouvoir commencer 2018 dans nos nouveaux murs. »
Agilis Engineering en quelques dates :
- Mai 2009 : création de la société.
- Août 2009 : début de l’activité.Prix 1,2,3 Go.
- 2010-2011 : BusinessMentoring.
- Juillet 2011 : création de l’atelier, 600.000 euros investis.
- 2012 : Isabelle Saint-Antoine, lauréatedu prix Woman Business Manager of the Year décerné par la Bil.
- 2015 : l’équipe est composée de cinq personnes.
- Fin 2016 : les machines sont entièrement financées.
- 2017 : construction de nouveaux locaux et nouvel investissement machines. Une embauche porte l’effectif à six personnes.
- 2018 : démarrage du nouvel atelier sur la Zaro.
Texte : Catherine Moisy - Photos : Emmanuel Claude / Focalize