Ancien cadre de banque vivant depuis 15 ans au Luxembourg, Harald-Sven Sontag, un Franco-Colombien, crée une marque de nectars de fruits frais exotiques de Colombie avec la qualité « homemade », grâce à un procédé de conservation révolutionnaire. Déjà distribuée dans plusieurs surfaces de vente et par internet, d’autres points de distribution sont à l’étude, notamment à l’étranger.
Pourquoi avoir lancé Tuki ?
« Je voulais donner un sens à ma vie personnelle et professionnelle, m’accomplir et accomplir quelque chose. J’ai toujours voulu être entrepreneur ! Mon associé, mon épouse et moi-même sommes d’origine colombienne et nous avons cherché un produit apprécié tant par les touristes que par les Colombiens. Nous voulions un produit de qualité et méconnu en Europe. Il se trouve que je connaissais bien le meilleur producteur de purée de fruits de Colombie. L’idée a fait son chemin pour aboutir à la création d’une gamme de nectars de fruits frais avec des matières premières de haute qualité. Le but était de faire découvrir aux consommateurs des saveurs authentiques et exotiques, qui font voyager. Les Colombiens sont chaleureux et hospitaliers. Ils souffrent de l’image négative de leur pays dans le monde, et nous avons voulu offrir une autre image de la Colombie.
Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
« Je ne suis pas issu du domaine de l’agroalimentaire. Je travaillais en banque et mon épouse travaille également dans le secteur financier. Après une licence en sciences économiques et gestion, une maîtrise des sciences et techniques comptables et financières et un DESS en audit à l’Université de Strasbourg, j’ai suivi plusieurs formations bancaires et une formation en project management, avant de m’inscrire à un master en management de la chaîne logistique globale au Luxembourg Institute of Science and Technology (List) en 2013.
Entre 2011 et 2012, mon projet de création d’entreprise s’est précisé et en 2012, la société a été créée et la gamme de nectars de fruits a été développée. Puis, nous avons réfléchi à un nom. Nous avons trouvé Tuki, un nom simple et facile à retenir, qui rappelle le toucan, un animal emblématique, à l’image du folklore colombien. L’étiquette de la bouteille affiche un toucan coloré avec un bandana rouge et un sombrero vueltiado (renversé), autre emblème colombien. Nous avons découvert le procédé de conservation dit de ‘pascalisation’ (ou high pressure process ? HPP) en chemin. Les fruits frais sont cueillis en Colombie et transformés en purée avant d’être envoyés aux Pays-Bas. Le procédé de conservation, que l’on peut considérer comme une pasteurisation à froid, consiste à soumettre les aliments à de très fortes pressions de l’ordre de 5.000 bars, ce qui détruit les bactéries sans endommager les qualités gustatives, vitamines et valeurs nutritionnelles des fruits, généralement dénaturés car ‘brûlés’ par les traitements thermiques conventionnels (pasteurisation, flash pasteurisation, UHT). Les nectars de fruits, déjà conditionnés dans leurs bouteilles, sont placés dans un tube que l’on remplit d’eau. Ils subissent dans l’enceinte une pression de 1.000 à 5.000 bars à température ambiante ou réfrigérée pendant trois à cinq minutes, temps nécessaire pour atteindre la pression désirée. Ce procédé permet également de garantir une durée de conservation (environ 75 jours) supérieure à celle d’une pasteurisation classique. Seules quatre sociétés en Europe appliquent ce procédé unique, les machines étant très onéreuses.
Comment est organisée la distribution ?
« Nous n’avons pas d’investissements lourds et nous travaillons uniquement avec des sous-traitants. Nous sommes les chefs d’orchestre, en quelque sorte. La chaîne logistique est variée et complexe. Humainement, c’est très épanouissant. Nos nectars sont disponibles sur le marché depuis mars 2014. Actuellement, cinq nectars de fruits sont proposés, mettant en avant des saveurs exotiques, allant du plus acide au plus doux: Lulo (ou narangille, proche d’un agrume), Mango (mangue), Maracuya (fruit de la passion), Mora (mûre des Andes) et Guanabana (ou corossol, au goût acidulé). Tous ces nectars sont riches en vitamines et en minéraux. Distribués dans le réseau des supermarchés Cactus, les nectars Tuki sont aussi disponibles au Mudam Café, à la Brasserie Neumünster et depuis peu au VIP lounge de Luxair. Sodexo les distribue également chez certains de ses clients. D’autres saveurs et de nouveaux points de distribution sont à l’étude, notamment à l’étranger. La vente en ligne (www.tukifruits.com), quant à elle, est déjà effective. Nous souhaitons aussi pénétrer le monde de la nuit avec des cocktails à base de nectars de fruits. En 2014, nous avons vendu 22.000 bouteilles en l’espace de six mois. Notre objectif pour 2015 serait d’arriver à vendre 80.000 bouteilles.
Avez-vous trouvé les aides nécessaires à l’aboutissement de votre projet ?
« J’ai eu bon nombre de conseils auprès de Nyuko / 1,2,3 Go et Seed4Start. J’ai été coaché par ces organismes et sélectionné pour participer aux Pitching Days, ces journées dédiées à la présentation d’un projet par des équipes d’entrepreneurs à une communauté d’investisseurs. C’est très formateur ! J’ai également été aidé par les étudiants de l’École nationale supérieure d’agronomie et des industries alimentaires (Ensaia) à Nancy qui ont réalisé l’étude de marché. Les cours à la Chambre de Commerce intitulés ‘Hazard Analysis Critical Control Point’ (HACCP), une méthode de maîtrise de la sécurité sanitaire des denrées alimentaires dont l’objectif est la prévention, l’élimination ou la réduction à un niveau acceptable de tout danger biologique, chimique et / ou physique, se sont révélés très utiles. J’ai reçu des aides informelles de la part de Luxinnovation, nous avons été conseillés par l’Espace Entreprises de la Chambre de Commerce et nous allons rejoindre le réseau Luxembourg Business Angel Network (LBAN), soutenu entre autres par la Chambre de Commerce.
Les informations transmises par l’Enterprise Europe Network pour nos recherches de partenariats nous ont été très utiles, tout comme nos contacts auprès de l’ODL pour le développement international. Mon expérience auprès de la Jeune chambre économique du Grand-Duché de Luxembourg (JCI Luxembourg) a été significative et enrichissante à la fois. J’ai été président national de cette organisation en 2007 et 2008 et mon parcours au sein de cet organisme a été une aventure formidable. La JCI Luxembourg encourage les initiatives innovantes, emmenées par de jeunes entrepreneurs, âgés de 18 à 40 ans, qui ont vocation à créer des changements positifs au Luxembourg. J’y ai appris à gérer des personnes, des projets et à chercher des sponsors. Lorsque vous êtes employé, vous n’avez pas l’occasion de vous exprimer devant 300 personnes, de convaincre et de faire passer une idée. La Jeune chambre économique est également à l’origine de l’organisation du Creative Young Entrepreneur Luxembourg (Cyel). Ce prix récompense de nouveaux concepts, des idées de développement, de nouveaux produits ou services, des solutions créatives à des problèmes délicats pour l’entreprise. ‘Everything is possible!’, c’est ce que j’ai retenu de mon expérience au sein de la JCI Luxembourg, ce qui m’a convaincu que j’étais capable de me lancer à mon tour.
Pourquoi le Luxembourg ?
« Pour sa culture du réseau et l’accessibilité des personnes. Le siège de la société est basé au Luxembourg et d’ici nous rayonnons dans plusieurs pays : nous travaillons avec la Colombie pour l’importation de la purée de fruits par bateau. La production et le conditionnement des nectars ont lieu aux Pays-Bas. L’Allemagne fait l’étiquetage et les bouteilles sont stockées dans des entrepôts réfrigérés à Metz, de l’autre côté de la frontière. Il est très difficile de trouver des entrepôts réfrigérés au Luxembourg. Pour l’instant, la distribution s’effectue au Luxembourg, mais j’espère pouvoir bientôt distribuer nos produits en Europe. J’aurais un seul reproche à formuler : le Luxembourg est un peu trop focalisé sur l’ICT. En termes de subventions, notre société ne correspond pas aux critères applicables ! Si une activité ne rentre pas dans les catégories et secteurs subventionnés, vous ne touchez aucune aide financière.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ?
« Le produit plaît et la qualité est là ! Le développement de la société est allé très vite... trop vite (rires). Aujourd’hui, nous manquons de temps et de moyens pour le développement commercial. En octobre 2014, nous avions participé, avec la Chambre de Commerce, au Salon international de l’alimentation (Sial) à Paris. Nous avons noué des contacts très intéressants. Malheureusement, je n’ai pas encore trouvé le temps de les exploiter. Mais je fais tout mon possible pour garder le cap, car comme dit le proverbe colombien : ‘Celui qui n’avance pas, recule.’
Auriez-vous un conseil à donner à d’autres entrepreneurs ?
« Il vaut mieux un projet moyen avec un bon entrepreneur qu’un bon produit avec un mauvais entrepreneur. Tout le monde ne peut pas créer son entreprise. Il faut davantage sensibiliser les jeunes aux risques qu’implique la création d’une activité. Souvent ils ne voient que le haut de l’iceberg, mais sous l’iceberg, il faut être conscient des risques financiers et de l’investissement en temps. Créer son entreprise est grisant. Vous vivez au quotidien avec votre projet. Je ne peux pas entrer dans un magasin, par exemple, sans passer par le rayon des jus de fruits. J’ai quelque 200 bouteilles de marques concurrentes stockées chez moi… Je les ai toutes goûtées et j’ai analysé leur packaging. Pour être un bon entrepreneur, il faut être curieux de tout, même de ce qui ne concerne pas directement le business développé. Tout ce qui nous entoure est susceptible d’être source d’idées de communication, d’innovation. Il ne faut rien lâcher, écouter tous les conseils, sans se laisser envahir. On reste les maîtres du projet ! L’entêtement n’est pas bon non plus. Il faut savoir doser. »
Texte : Marie-Hélène Trouillez - Photos : Gaël Lesure