La Chambre de Commerce vient de publier son avis sur le Projet de loi n°8383 concernant le budget de l’Etat pour 2024, ainsi que sur le Projet de loi n°8384 relative à la programmation financière pluriannuelle 2023-2027.
Un budget de transition
Le budget 2024, qualifié par le Gouvernement de « Budget de transition », dans la mesure où il ne reflète encore que partiellement les orientations de la nouvelle coalition, a été établi sur une hypothèse de croissance du PIB de 2% pour 2024, suivie d'une accélération en 2025 et 2026. La Chambre de Commerce alerte sur le fait qu’il s’agit là d’une prévision de croissance relativement optimiste, le pays affichant une véritable « panne de croissance » depuis maintenant plusieurs années et le « Momentum » des perspectives de croissance internationales étant très limité par ailleurs. C’est la raison pour laquelle elle a porté une attention particulière à l’analyse de sensibilité qui figure dans la documentation budgétaire, notamment celle réalisée selon un scénario défavorable avec une croissance inférieure de 0,5 point de % par rapport à l’hypothèse retenue, qui illustre que la dégradation du solde budgétaire et l’envolée de la dette peuvent devenir rapidement insoutenables et menacer la stabilité et la prévisibilité tant choyées des finances publiques du pays.
Un effet ciseau toujours présent, mais que le Gouvernement entend corriger
Un effet ciseau s’est véritablement enclenché au Luxembourg à partir de 2022. Depuis cette date, les dépenses de l’Administration centrale progressent en effet plus vite que les recettes, entrainant une dégradation du solde, et donc, par voie de conséquence, un accroissement de l’endettement.
Cet effet ciseau existe toujours en 2024 : les dépenses de l’Administration centrale devraient progresser de 7,6%, alors que la progression des recettes est estimée à « seulement » 7,1%. Résultat : le solde de l’Administration centrale plonge à -1,9 milliard d’euros.
Selon la documentation budgétaire, cette dégradation s’explique par le coût des différents paquets de mesures adoptés pour lutter contre les effets de l’inflation. Si le poids de ces mesures est réel, la Chambre de Commerce estime toutefois qu’elles manquent parfois de sélectivité et d’efficience. Par ailleurs, la progression rapide des dépenses est liée à un manque de maîtrise des dépenses courantes, en particulier des dépenses de personnel. Sous l’effet notamment des cinq tranches indiciaires déclenchées en 24 mois, la masse salariale de l’Administration centrale passe de 5,6 milliards d’euros (7,35% du PIB) en 2022 à 8,3 milliards (8,54% du PIB) en 2027. Le solde budgétaire de l’Administration centrale ne devrait s’améliorer que marginalement entre 2024 et 2025 (de 100 millions EUR) alors que le budget pluriannuel table sur une baisse à concurrence de 806 millions EUR concernant les mesures de soutien des ménages et des entreprises dans le sillage de la crise énergétique.
La Chambre de Commerce salue la volonté du Gouvernement de refermer, ne serait-ce que timidement, cet effet ciseau dès 2025. Ainsi, selon la planification budgétaire, les dépenses devraient être resserrées à partir de 2025 (+4,5%) et le solde devrait commencer à s’améliorer à cette date. Elle encourage le Gouvernement à tenir cet engagement et à concrétiser cette volonté dans les actes, à ne pas créer de dépenses nouvelles la contrecarrant et à soumettre les dépenses à une analyse coût-efficience approfondie.
Un modèle social à réformer
L’analyse du solde de l’Administration publique, qui englobe également la Sécurité Sociale et les Administrations locales, conduit aux mêmes conclusions. Le solde se dégrade sous le double effet d’une diminution du solde de l’Administration centrale et des Administrations de Sécurité sociale. En effet, les conséquences du vieillissement de la population sont déjà lisibles dans la documentation budgétaire. L’excédent de la Sécurité sociale se réduit progressivement à partir de 2023, passant de 1.055 millions d’euros en 2023 à 861 millions en 2024, et 261 millions d’euros à l’horizon 2027. Le solde pourrait même être négatif dès 2027, si la situation sur le front de l’emploi se dégradait.
« Plus que jamais, une réforme du système de pensions, mais aussi une modernisation de l’Assurance maladie, sont nécessaires et urgentes pour garantir la pérennité du modèle social luxembourgeois », estime Carlo Thelen, le Directeur général de la Chambre de Commerce.
Une dette qui s’approche du seuil des 30% du PIB
La dégradation du solde de l’Administration centrale n’est pas sans conséquence sur la dette publique. A l’issue de l’exercice budgétaire 2024, celle-ci devrait s’élever à 22,249 milliards d’euros, soit 26,50% du PIB. Selon la trajectoire budgétaire présentée, elle devrait atteindre 26,579 milliards d’euros en 2027, soit 27,3% du PIB. Le seuil des 30% du PIB pourrait être dépassé dans le cas d’une croissance moins soutenue qu’envisagé (-0,5 point de %). A terme, la dégradation de la dette publique au-delà du plafond des 30% du PIB, pourrait remettre en cause le triple A luxembourgeois, lequel constitue encore un avantage compétitif décisif. Au-delà du maintien du triple A, la Chambre de Commerce s’inquiète de l’évolution de la confiance des investisseurs si le Luxembourg ne respectait plus ses propres engagements. Elle invite le Gouvernement à mettre en place les politiques nécessaires au maintien d’une dette sous la barre des 30% du PIB.
Des marges de manœuvre à retrouver
A la lecture de la programmation financière pluriannuelle, la Chambre de Commerce note avec satisfaction que le Gouvernement affiche la volonté de corriger la trajectoire budgétaire du pays pour inverser l’effet ciseaux et maîtriser l’endettement. Elle rappelle en premier lieu que c’est le dynamisme économique, générateur de recettes nouvelles, qui permettra de réenclencher un cercle vertueux. Aussi, la restauration de la compétitivité du pays, laquelle décline dangereusement depuis plusieurs années, doit être le chantier prioritaire du nouveau Gouvernement. La Chambre de Commerce observe que ce Budget contient sur ce sujet un certain nombre de signaux positifs, en matière de fiscalité des entreprises notamment. Elle rappelle ensuite que cet effort budgétaire passera nécessairement par une meilleure maîtrise des dépenses courantes, et donc par la promotion d’une administration plus digitale et plus efficiente. Là encore, il appartiendra au Gouvernement de passer des intentions aux actes.
Il est plus urgent que jamais de retrouver des marges de manœuvre budgétaires. D’abord par souci de résilience, les crises récentes nous ayant montré combien les chocs économiques peuvent être violents et nécessiter des réponses coûteuses. Mais surtout parce que la double transition environnementale et digitale, source d’innovation et de gains de productivité pour les entreprises, nécessite des investissements massifs qu’il faut financer. Il s’agit là d’un enjeu économique majeur, qui conditionne la compétitivité du Luxembourg sur le long terme. Dans ce contexte, il serait irresponsable de faire des investissements afférents une variable d’ajustement budgétaire.
« La prospérité du Luxembourg de demain passe donc par la restauration d’une trajectoire budgétaire responsable dès aujourd’hui et donc par un inversement de l’effet ciseau, en contenant notamment la progression des dépenses courantes et en se dotant d’ambitieuses réformes structurelles », conclut Carlo Thelen.
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