Avis de la Chambre de Commerce
Après son examen du projet de budget 2013, la Chambre de Commerce est très inquiète. Et pour cause : l’Administration centrale accusera, en 2013, un déficit de 1,292 milliard EUR (-2,8% du PIB), position critique qui résulte d’une évolution des dépenses (+3,5% par rapport au budget 2012) encore une fois supérieure à la progression des recettes (+2,6%), tout en sachant que ces dernières, tout comme en 2012, sont probablement surévaluées dans un contexte économique, budgétaire et compétitif extrêmement difficile. En date du 6 novembre 2012, le Gouvernement a présenté une série d’amendements au projet de budget. Ces mesures supplémentaires permettraient de réduire de quelque 251,5 millions EUR le déficit budgétaire de l’Administration centrale en 2013 par rapport au déficit estimé dans le projet initial (soit un déficit de 1.041,3 millions EUR au lieu de 1.292,9 millions EUR).
Quoi qu’il en soit, le budget 2013 restera fortement marqué par les déficiences structurelles dont souffrent les finances publiques luxembourgeoises. Par ailleurs, l’économie luxembourgeoise reste fortement secouée par la crise. Des enjeux importants à moyen terme, concernant notamment le secteur financier, l’avenir industriel, la disparition de la TVA sur le commerce électronique, et à long terme, notamment en termes d’assurance-pension, d’assurance-maladie et d’assurance-dépendance, nous guettent. De surcroît, le Luxembourg s’enfonce dans un déficit structurel. En effet, les réponses apportées et les mesures de consolidation mises en œuvre jusqu’à présent n’ont pas permis une inversion de la tendance à la hausse du déficit, qui continue de se creuser au lieu de se résorber. L’enjeu est crucial : soit le Luxembourg parvient à se réformer et à mettre en œuvre les jalons politiques et budgétaires nécessaires, soit il perdra à terme son attractivité et sa souveraineté budgétaire. Dans ce cas, son destin sera décidé ailleurs.
A défaut d’assainir les finances publiques d’ici 2014, le Luxembourg risque de perdre, à court terme, sa notation AAA, avec des conséquences négatives sur la dette. Les marges de manœuvres budgétaires du pays s’effritent. La preuve en est le refinancement désormais intégral des dettes contractées hier par des nouveaux emprunts qui devront être remboursés demain par une génération aujourd’hui déjà largement hypothéquée par l’insuffisance des réformes de la sécurité sociale, le taux de création d’emplois en berne et la concurrence effrénée en Grande Région sur le marché du travail.
Des réformes profondes sont inévitables : réforme de l’architecture et des procédures budgétaires, réforme des marchés des biens et des services en simplifiant profondément les procédures administratives, ce qui relancerait l’économie sans aucune incidence budgétaire ; ou encore une réforme du système de formation des salaires et une réforme incisive du marché du travail par une flexibilisation accrue qui permettra de créer des emplois, tout en générant des recettes supplémentaires. Dans la situation de crise actuelle, le manque de gouvernance proactive, dessinant une feuille de route volontariste et des solutions à la hauteur des enjeux qui marquent notre pays, est saisissant. Etant donné la gravité de la situation et au vu des défis d’avenir qui nous guettent, il nous faut effectivement réinventer le modèle socio-é
Le budget 2013 en un clin d’œil
Après les amendements du 6 novembre 2012, le déficit de l’Administration publique (Administration centrale, Administrations locales, sécurité sociale) sera en 2013 de 382,9 millions EUR (-0,8% du PIB). Lors du dépôt du budget en octobre, le déficit de l’Administration publique correspondait à 1,5% du PIB (684,5 millions EUR). L’amélioration du solde global de l’Administration publique, soit 301,5 millions EUR, est plus importante que celle dans le chef de la seule Administration centrale (251,5 millions EUR) étant donné la légère correction vers le haut du solde de la sécurité sociale au titre de l’année budgétaire 2013. Or l’excédent de la sécurité sociale, le « coussin de sécurité » ou « l’amortisseur de choc » des finances publiques luxembourgeoises, fond à une vitesse préoccupante, évolution que la réforme des pensions actuellement envisagée ne permettra en rien d’endiguer.
Le budget de l’Administration centrale est dans le rouge depuis 2002 à une exception près. Le déficit structurel s’est amplifié au cours de la période 2009-2012, atteignant environ 1 milliard EUR par an en moyenne sur cette période et jusqu’à 1,6 milliard EUR en 2012, soit l’équivalent d’environ 13% de la valeur totale des recettes du budget de l’Etat de cette même année. Malencontreusement, les efforts de maîtrise des dépenses de l’Administration centrale se sont avérés pour le moins insuffisants et, au 30 septembre 2012, les dépenses totales ont encore progressé de 7,6%, les recettes n’augmentant que de 2,4%.
Un état des lieux inquiétant…
Les problèmes structurels qu’éprouve notre pays n’ont pas été provoqués par la crise, mais simplement mis à nu et renforcés par celle-ci. Naguère, la croissance annuelle à deux chiffres du secteur financier a généré un rendement fiscal enviable et en hausse permanente. Aujourd’hui, la valeur ajoutée du secteur financier est baissière. A l’époque, un tissu industriel diversifié et performant soulignait les performances économiques du Luxembourg en dehors des services, tout en créant des emplois moins qualifiés. Actuellement, les usines ferment, les unités se délocalisent et les emplois disparaissent. La chute de la productivité et la progression du coût salarial rendent la pérennisation des sites industriels très difficile.
La production industrielle est en berne, la productivité du travail continue de se dégrader et le coût salarial est plus que jamais dissocié du contexte économique. Alors que le contexte conjoncturel a connu une forte dégradation et une grande incertitude, quatre tranches indiciaires ont été allouées de 2008 à 2011, et la cinquième est venue à échéance le 1er octobre 2012. En dehors des hausses du salaire social minimum au 1er janvier 2009 et 2011 (voire 2013), le coût salarial a donc connu une hausse de 12,5% sans que la richesse produite n’ait progressé, engendrant ainsi une dégradation de la productivité et les risques qui y sont associés (hausse des faillites, licenciements, délocalisations, etc.).
La conséquence de cet état des lieux inquiétant est double : d’une part, les indicateurs macroéconomiques qui se dégradent rapidement compliquent l’effort de consolidation budgétaire. D’autre part, le rattrapage économique, suite à la crise ayant démarré début 2008, n’est toujours pas achevé. En l’occurrence, le PIB de fin 2011 demeure, en volume, toujours 0,4% en-deçà de la valeur qu’il avait atteint quatre ans auparavant. En y incluant 2012, la croissance aura été la grande absente des 5 dernières années. Etant donné le taux de croissance historique élevé de l’économie (croissance moyenne de 5% sur la période 1995-2007), ce constat montre à quel point la récession a été à la fois profonde et durable. Or, seules des performances économiques des entreprises solides rendront possibles une consolidation durable et seul un appareil de production compétitif peut maintenir et créer des emplois, payer durablement des salaires, investir, et, in fine, générer l’ensemble des bases fiscales du pays.
Il ressort clairement des chiffres analysés que l’Etat luxembourgeois vit au-dessus de ses moyens. L’appareil productif du Grand-Duché ne génère plus une dynamique de création de valeur supérieure à celle enregistrée dans les pays voisins, ce qui impacte considérablement sa capacité de créer de nouvelles bases taxables et d’assurer un rythme élevé au niveau des recettes fiscales. Parallèlement, le Luxembourg n’adapte pas l’évolution des dépenses à cette nouvelle donne, de sorte que les déficits se creusent.
Une réaction à la crise insuffisante
La Chambre de Commerce estime que les réponses à la double crise, économique et budgétaire, données jusqu’à présent par le Gouvernement sont insuffisantes et qu’il suffit d’examiner le déficit galopant, et par conséquent la dette significativement en hausse, pour s’en convaincre.
Dans le 1er paquet d’assainissement des comptes publics du 17 décembre 2010, environ 80% des économies annoncées sur le versant des dépenses ont été opérées à travers la non-réalisation d’investissements projetés. C’est d’autant plus regrettable que ce sont ces derniers, s’ils sont bien articulés, qui permettent de renforcer la compétitivité hors-coût et l’attractivité du territoire. De plus, à peine 5% des efforts d’assainissement concernent le train de vie de l’Etat (frais de fonctionnement), soit une contribution rigoureusement insuffisante. Pour le reste, il s’agit en grande partie de hausses fiscales très préjudiciables en termes d’attractivité du site luxembourgeois ; pourtant une condition sine qua non afin de réussir la diversification économique dans les niches de compétences prévues dans le programme gouvernemental 2009-2014.
Le 2e paquet de consolidation, dévoilé au printemps 2012, se compose, en partie, de mesures ayant un caractère symbolique. En outre, ce paquet prévoit de nouvelles mesures fiscales ayant pour but de générer des recettes supplémentaires pour juguler une croissance non-maîtrisée des dépenses. Or, une hausse généralisée des taux d’imposition alimentera encore la spirale négative : l’affaiblissement de la compétitivité des entreprises conduira à un chômage encore plus élevé, ce qui aura à nouveau des répercussions négatives sur les finances publiques. L’équilibre budgétaire s’éloigne et les dépenses sociales, notamment celles qui encadrent l’inactivité, s’envolent. Cette tendance doit être inversée car elle est insoutenable socialement et financièrement.
Les amendements présentés le 6 novembre ne solutionnent rien. Certes, du point de vue de l’objectif à atteindre, à savoir l’assainissement budgétaire, les amendements vont dans la bonne direction. Or, les mesures proposées n’arrangent rien au vu de l’insuffisance de leur portée quant à la dynamique des grands blocs de dépenses, au vu de l’absence de mesures structurelles du côté des dépenses et au vu des dangers inhérents à certaines mesures d’augmentation des impôts. Il s’agit d’un paquet complètement déséquilibré, dont seulement 28% de l’effort concerne des réductions de dépenses. Les 72% qui restent s’articulent autour d’un nouveau resserrement fiscal, qui, s’il est déjà dangereux et contreproductif en soi, mine la prévisibilité fiscale, réduit l’attractivité de notre pays et grève dans une très large mesure les entreprises alors que ces dernières sont déjà à ce jour dans une situation compétitive des plus détériorée. Finalement, il faut déplorer que les amendements n’ont pas d’impact sur la dynamique de croissance des dépenses.
Suite à cette réaction insuffisante, la question suivante se pose : à quand une vraie inversion de tendance au niveau du déficit public ? Premier de la classe en Europe en 2007 quant au solde de l’Administration publique (excédent de 3,7%), le Luxembourg perd du terrain chaque année et, contrairement aux autres pays, aucune tendance réelle d’amélioration du solde public n’est perceptible au fil des années, comme il ressort du graphique ci-après, soulignant le caractère inefficace des efforts de consolidation et de relance de la croissance à l’œuvre au Luxembourg. A politique (quasiment) inchangée, l’Administration publique luxembourgeoise éprouvera, avec l’Espagne, le déficit le plus élevé en fin de période parmi les 8 pays représentés.
Et pourtant, les solutions existent !
Dans un souci de nourrir le débat devant assurer, in fine, l’atteinte de l’objectif budgétaire à moyen terme (0,5% du PIB), la Chambre de Commerce souhaite avancer brièvement des pistes de réflexion générales et des mesures d’efficience structurelles et ponctuelles. La Chambre de Commerce renvoie à son avis budgétaire pour une analyse détaillée de l’ensemble des ces pistes de réflexion.
Aux yeux de la Chambre de Commerce, la poursuite de la consolidation budgétaire ne doit pas être menée dans un vase clos, mais doit, au contraire, s’articuler autour de quelques lignes directrices fortes :
- Assainir les finances publiques sans compromettre davantage la compétitivité : la politique de consolidation n’est pas synonyme de récession économique
- Conserver à tout prix la souveraineté budgétaire et l’attractivité du Luxembourg
- Compléter des mesures structurelles portant sur des dépenses par des économies ponctuelles
- Passer au crible toutes les dépenses et accélérer le rythme de consolidation suivant la trajectoire d’ajustement prévue par le Pacte fiscal européen
- Considérer les hausses fiscales comme un instrument d’appoint, et non comme le principal instrument de l’assainissement budgétaire
- Définir un objectif à moyen terme suffisamment ambitieux pour faire face au financement durable de la sécurité sociale.
Ces lignes directrices dûment prises en compte dans son avis budgétaire, la Chambre de Commerce détaille un ensemble de mesures structurelles quant à une meilleure maîtrise des dépenses courantes :
- Radiographie de toutes les dépenses et budget à base zéro, complétés par la réalisation de gains de productivité de 1,5% par an par la suite
- Gel de l’indexation des salaires en 2013 et 2014 et réalisation d’une étude sur la désindexation généralisée de l’économie
- Meilleure sélectivité sociale pour une lutte efficace contre la pauvreté
- Changement de paradigme en matière de prise en charge de l’inactivité
- Alignement du congé parental sur la norme européenne en la matière
- Implémentation d’une « feuille de route du mieux investir »
- Transposition dans les meilleurs délais du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l’UEM, afin d’asseoir la consolidation budgétaire sur des bases plus solides et contraignantes
- Refonte de l’architecture budgétaire autour de critères de résultats, de performances et d’atteinte d’objectifs
- Feuille de route pluriannuelle afin de tendre vers des dépenses par fonction plus proches de la moyenne européenne.
Tableau 1 : Quantification (millions EUR) des mesures structurelles
2013 | 2014 | |
---|---|---|
1. Radiographie des dépenses, baisse horizontale 2. Gain de productivité de 1,5% par an 3. Gel de l'indexation des salariés 4. Sélectivité sociale 5. Alignement congé parental 6. Feuille de route "mieux investir" | 200 0 50 100 10 25 | 0 200 150 0 10 0 |
385 | 360 |
Ces mesures structurelles doivent être complétées par un ensemble de mesures ponctuelles au niveau des dépenses courantes, des dépenses en capital et de certaines dépenses de Fonds spéciaux. Il s’agira notamment, dans ce contexte, de geler un certain nombre des crédits budgétaires par rapport au niveau atteint en 2012, respectivement de baisser certains crédits par rapport aux montants budgétisés.
Selon la Chambre de Commerce, l’ensemble des mesures ponctuelles qu’elle a identifiées au niveau des dépenses courantes permettrait de réaliser une économie totale de 114 millions EUR en 2013. L’ensemble des mesures ponctuelles au niveau des dépenses en capital, quant à elles, pourrait engendrer une économie totale de 30 millions EUR en 2013. In fine, la Chambre de Commerce a également identifié des mesures liées aux Fonds spéciaux, qui, si elles sont mises en œuvre, permettraient une économie totale de 110 millions EUR en 2013. La Chambre de Commerce renvoie à la partie 4 de son avis budgétaire pour une présentation exhaustive de ces mesures ponctuelles.
A titre de mesure d’accompagnement des paquets de consolidation agissant sur les dépenses, et par opposition au relèvement généralisé des taux d’imposition, la Chambre de Commerce plaide pour une révision du système fiscal dans sa globalité, en y intégrant, notamment, une radiographie des divers abattements et autres déductions qui, s'ils ont pu être justifiés à une époque, ne le sont plus forcément aujourd'hui.
Dans son avis budgétaire, la Chambre de Commerce se propose, ainsi, d’énoncer certaines pistes de réflexion plus concrètes en ce qui concerne l’instrument fiscal et sa contribution à l’effort d’assainissement. En effet, alors que la Chambre de Commerce a traditionnellement estimé que l’effort budgétaire pouvait provenir, à titre quasi exclusif, de mesures d’efficience sur le versant des dépenses, la détérioration progressive du solde public au cours de cette dernière décennie - renforcée en partie par des développements conjoncturels mais provoquée, à la base, et aggravée, par la suite, par des problèmes structurels et l’absence de mesures suffisantes à leur égard - ne permet désormais plus d’articuler une consolidation qui se focalise exclusivement sur ce volet spécifique tout en permettant d’atteindre l’objectif budgétaire dans un délai raisonnable.
Les propositions qui suivent se fondent sur un « moindre mal nécessaire » qui devra permettre de replacer les finances publiques sur une trajectoire plus durable dans un esprit d’effort collectif et d’équité :
- Refonte des abattements fiscaux
- Non-déductibilité de certaines primes d’assurance obligatoires
- Revue du forfait de frais d’obtention pour les revenus d’une occupation salariée
- Abolition partielle du crédit d’impôt en matière immobilière
- Alignement du forfait kilométrique sur le prix d’un abonnement annuel des transports en commun
- Hausse modérée de l’impôt foncier
- Relèvement modéré des taux d’accises en ligne avec les évolutions dans les pays voisins.
Tableau 2 : Quantification (millions EUR) des mesures fiscales
2013 | 2014 | ||
---|---|---|---|
1. Abattements fiscaux: baisse 1/3 par an 2. Déductibilité fiscale primes RC auto, chasse, etc. 3. Réduction du forfait de frais d'obtention 4. Crédit d'impôt immobilier 5. Ajustement addtionel forfait kilométrique 6. Impôt foncier + mesures comp. 7. Hausse des accises sur produits pétroliers | 90 25 25 40 25 25 30 | 90 n.d. n.d. n.d. n.d. n.d. n.d. |
Estimation approximative Estimation approximative |
260 | 90 |
L’ensemble des mesures identifiées par la Chambre de Commerce offrent donc un potentiel d’économie total de l’ordre de 979 millions EUR (dont 719 millions EUR portent sur les dépenses et 260 millions EUR portent sur les recettes), ce qui constitue une première étape conséquente vers l’atteinte de l’équilibre budgétaire.
Le texte intégral de l’avis de la Chambre de Commerce peut être consulté sur son site officiel www.cc.lu .