Economie du partage
Le 6 décembre 2017, la Chambre de Commerce du Luxembourg et son Entreprise Europe Network ont organisé une matinée thématique consacrée à l’économie du partage, sujet qui se trouve à la croisée des conclusions de l’étude stratégique Troisième Révolution Industrielle (T.I.R.) et des préoccupations des entreprises du pays désireuses de mieux appréhender les éventuelles opportunités offertes par ces modèles. Pour l’occasion, le programme prévoyait un mot d’introduction par Carlo Thelen, directeur général de la Chambre de Commerce, deux interventions d’experts ainsi qu’une table ronde réunissant des entrepreneurs et un représentant du ministère de l’Economie.
Dans son introduction, Carlo Thelen a rappelé combien la mutation numérique est en train de bouleverser les modèles économiques établis. L’économie du partage, qui transforme le rapport à la propriété et réorganise les échanges de biens et de services n’est que l’une des facettes d’une transformation plus profonde qui touche tous les aspects de la vie des citoyens et des entreprises. Les retombées financières au niveau européen, quoique difficiles à appréhender et encore modestes, connaissent une progression rapide, avec notamment un doublement sur l’année écoulée. La Chambre de Commerce s’intéresse de près au sujet de l’économie collaborative car celle-ci s’inscrit parfaitement dans les conclusions de l’étude T.I.R., en permettant une meilleure gestion et une meilleure utilisation des ressources, mais aussi car l’institution se donne la mission d’accompagner les entreprises dans la compréhension des nouvelles tendances qui les impactent, en analysant le potentiel d’opportunités qu’elles revêtent (création de valeur, d’emplois, développement de nouvelles expertises…) mais également en identifiant les défis sous-tendus (notamment l’encadrement réglementaire que chaque nouvelle pratique nécessite).
Le premier expert invité, Neil Kay, en poste au sein de l’unité chargée de la digitalisation du Marché Unique à la Commission européenne, a dressé la toile de fond de l’économie collaborative en Europe, en commençant par circonscrire ses caractéristiques: usage temporaire d’un bien ou d’un service, sans transfert de propriété, grâce à une plateforme ou une place de marché digitale, le plus souvent entre particuliers. Neil Kay a confirmé la difficulté de quantifier ce marché et la nécessité de travailler à partir d’estimations. Néanmoins, certaines données sont connues et notamment, contrairement à certaines idées reçues, c’est dans le domaine de la finance que les plateformes collaboratives sont les plus nombreuses et pèsent le plus en termes de revenus (environ 55% au niveau européen). Les pays d’Europe les plus en pointe dans le domaine sont la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie. Concernant l’emploi, l’expert estime à 400 .000 le nombre de postes créés en Europe dans l’économie du partage mais il rappelle que la plupart de ces emplois sont de nature relativement précaire, avec un fort pourcentage de temps partiels. Neil Kay a ensuite listé les facteurs qui encouragent le développement de l’économie collaborative : la maturité des technologies de l’internet, le souhait des clients d’accéder à un choix de propositions plus vaste au meilleur prix, le phénomène d’urbanisation croissant et le climat économique post crise créant la nécessité de trouver des sources de revenus complémentaires. Neil Kay a conclu son allocution en annonçant la sortie à l’été 2018 d’une publication de la Commission européenne sur le sujet, répertoriant notamment l’environnement réglementaire de chaque état membre de l’UE.
Il a ensuite laissé sa place au pupitre à Sarah Mellouet, économiste à la Fondation IDEA asbl, co-auteur de l’avis annuel 2017 intitulé « Monde du partage ou partage du monde ? ». Celle-ci a apporté un éclairage sur le développement de l’économie collaborative au Luxembourg. Malgré une très forte pénétration des technologies internet dans le pays, avec 97% des ménages ayant une connexion, seulement 13 résidents luxembourgeois sur 100 ont déjà eu recours au « partage » via des plateformes et moins de 4 sur 100 y ont proposé des biens/services. Ce succès relativement faible de la sharing economy sur le marché national serait lié à plusieurs facteurs : l’absence de masse critique, un niveau de vie élevé faisant que les habitants y sont moins à l’affut de revenus additionnels ou de bonnes affaires qu’ailleurs en Europe, un goût pour la propriété encore fortement ancré dans l’inconscient, une interconnaissance forte entre les habitants qui les exempte de devoir passer par des plateformes pour obtenir de l’entraide et enfin des limites de nature réglementaire liées notamment au droit d’établissement ou à l’accès aux professions réglementées.
Les principaux défis liés à l’économie du partage semblent d’ailleurs être dans les mains du législateur qui devra s’intéresser aux conséquences de cette nouvelle forme de commerce sur le droit du travail, les impôts, la concurrence ou encore la protection des consommateurs et de leurs données. Sarah Mellouet a conclu son propos en soulignant le fait que, malgré un faible développement de l’économie du partage, l’un de ses avantages collatéraux est qu’elle est devenue source d’inspiration pour les acteurs traditionnels qui retravaillent leurs services en incluant plus de digital et d’interactions avec leurs clients et qui repensent leur modèles pour tendre vers une économie de la fonctionnalité plutôt que de la possession, ce qui est exactement l’esprit de la T.I.R.
Par les suites quelques exemples développés sur le marché luxembourgeois ont été présentés au cours d’une table ronde :
Le site furnished.lu d’abord, ayant fait ses preuves depuis de nombreuses années, présenté par sa créatrice Carole Caspari. Cette plateforme propose des chambres meublées, en collocation de courte durée, en all inclusive (énergie, assurances, wifi…) pour une cible composée essentiellement de stagiaires et jeunes actifs. Son succès repose sur le côté « prêt à l’emploi », la convivialité du site internet, et les services apportés aussi bien aux propriétaires qu’aux locataires.
Flex ensuite, le nouveau service de carsharing des CFL, présenté par Jürgen Berg, gérant CFL Mobility. Déployé dans les principales gares du pays pour compléter l’offre de transport public, le système Flex repose sur une plateforme technologique permettant de gérer les réservations grâce à un smart phone et une carte M-pass qui devient momentanément la clé du véhicule loué. La solution est adaptée aux particuliers mais elle pourrait pousser certaines entreprises à repenser leur politique de mobilité.
Enfin un exemple qui sera finalisé début 2018, présenté par Gilles Scholtus, conseiller de gouvernement 1ère classe à la direction générale PME et Entrepreneuriat du ministère de l’Economie. LetzShop.lu est un site de commerce en ligne mutualisé, mis à disposition des commerçants de 15 communes du pays pour les aider à franchir le pas du digital mais aussi et surtout pour leur donner une visibilité accrue grâce à cette vitrine électronique, notamment auprès des nombreux nouveaux habitants qui ne connaissent pas encore toutes les ressources commerciales offertes par leur nouveau lieu de vie. Des expériences similaires ont fait leur preuve en Allemagne et en Suisse.
Les trois initiatives ont été saluées par Neil Kay pour leur ancrage fort dans les spécificités du marché local.
En fin de matinée, un micro a été tendu à la salle pour une session de questions–réponses. Celles-ci, nombreuses ont confirmé le grand intérêt suscité par le sujet auprès de la soixantaine de participants.