Après les inquiétudes concernant les restrictions sanitaires, les tensions sur les chaines d’approvisionnement, le manque de main-d’œuvre ou encore les prix de l’énergie, de nouveaux nuages viennent assombrir l’horizon économique luxembourgeois. Le coût de la main-d’œuvre, qui affecte gravement la compétitivité et la rentabilité des entreprises, et les conditions de financement, liées à la flambée des taux d’intérêts, figurent désormais parmi les principales préoccupations des chefs d’entreprises. C’est ce que révèle la 10ème édition de l’enquête semestrielle du Baromètre de l’Economie de la Chambre de Commerce, réalisée du 18 septembre au 6 octobre avec la participation de 647 entreprises de 6 salariés et plus. Les résultats confirment la poursuite de la dégradation du climat des affaires. La situation de certains secteurs, la construction, l’HORECA et l’industrie notamment, est particulièrement préoccupante.
Pour la première fois depuis la crise sanitaire, le score du Baromètre de l’Economie, repasse sous la barre symbolique des 50 sur 100. Ce score correspond à la moyenne des sept indicateurs de conjoncture mesurés par l’enquête : confiance dans l’avenir de son entreprise, confiance dans l’avenir de l’économie, activité au cours des six derniers mois, activité prévisionnelle pour les 6 prochains mois, emploi, rentabilité et investissement. Par rapport à l’enquête réalisée au premier semestre 2023, le score global perd 1,8 point, pour une note globale qui chute donc à 48,9 sur 100. Cette nette dégradation du climat des affaires se lit sur la quasi-totalité des indicateurs conjoncturels. L’enquête repose sur un échantillon statistiquement représentatif de l’économie marchande luxembourgeoise composé par des experts en la matière.
La confiance toujours en berne…
Dans un climat mondial fortement dégradé par la multiplication des crises et les tensions géopolitiques, l’économie luxembourgeoise a longtemps été perçue par les entrepreneurs comme un cocon protecteur, de par la solidité de ses fondations et la capacité de résilience dont elle a su faire preuve par le passé. Force est de constater qu’elle est de moins en moins perçue comme tel. La part de chefs d’entreprises se disant « confiants » ou « très confiants » dans l’économie luxembourgeoise, chute depuis début 2022. Fin 2021, ils étaient encore 87% à affirmer être optimistes pour l’avenir à moyen terme (2 à 3 ans) de l’économie nationale. Ils ne sont plus que 64% aujourd’hui, soit 2 points de moins qu’au semestre précédent. Le dernier refuge de confiance reste l’entreprise. Les entrepreneurs interrogés sont encore 74% à avoir confiance en l’avenir de leur entreprise à moyen terme. Un score stable par rapport au semestre précédent, même si on observe une inquiétante dégradation de la confiance dans le secteur de l’industrie (-15 points de confiance en un semestre).
Cette chute de confiance est d’abord nourrie par le ralentissement de l’activité. Si 19% des 647 entreprises répondantes affirment avoir vu leur activité progresser au cours des six derniers mois, 54% l’ont vu stagner et 27% disent qu’elle a régressé. Ils sont encore plus nombreux (28%) à indiquer qu’ils anticipent une baisse pour les six prochains mois. Certains secteurs sont particulièrement pessimistes : 42% des entreprises de la construction, 39% des entreprises industrielles et 26% des entreprises de transports prévoient une baisse de leur activité, contre respectivement 32%, 35% et 18% au semestre dernier.
Logiquement, les prévisions en termes d’emploi ne sont guère plus optimistes. Seules 18% des entreprises interrogées prévoient de créer des emplois au cours des six prochains mois. 17% anticipent même une diminution de leurs effectifs, en particulier le secteur de l’HORECA (29%), celui de la construction (26%) et des transports (19%). C’est 4 points de plus qu’au premier semestre.
Côté investissement, alors que la double transition environnementale et digitale nécessite des efforts importants et rapides, les acteurs économiques préfèrent rester attentistes. Ainsi, seules 14% des entreprises prévoient d’augmenter leurs investissements dans les six prochains mois. 65% affirment vouloir les stabiliser et 21% les diminuer. Là encore, d’après les résultats de l’enquête, le ralentissement de l’investissement sera particulièrement net dans les secteurs de la construction (36% des entrepreneurs annoncent une diminution), de l’HORECA (28%) et de l’industrie (25%).
La rentabilité se dégrade dramatiquement dans certains secteurs
Si les entreprises voient leurs capacités d’investissement fondre, c’est parce que leur rentabilité se dégrade fortement. Pour les six prochains mois, seuls 14% des chefs d’entreprises interrogés prévoient une progression de leur rentabilité. 52% estiment qu’elle va stagner et 34% qu’elle va diminuer (2 points de plus qu’au premier semestre). Les résultats sont alarmants concernant l’industrie, pour laquelle 44% des chefs d’entreprises s’attendent à une baisse de leur rentabilité (contre 37% au semestre précédent). D’autres secteurs voient rouge : la construction (41% des chefs d’entreprises prévoient une baisse de rentabilité), l’HORECA (41%), le commerce (38%) et les transports (34%). Notons également que les PME sont les premières à exprimer de fortes inquiétudes quant à leur rentabilité future.
« Poser la question de la rentabilité des entreprises, c’est poser la question de la viabilité d’une économie. Une économie n’a pas d’avenir si ses entreprises ne sont pas rentables, souligne Carlo Thelen, le CEO de la Chambre de Commerce. A ce titre, la dégradation des perspectives de rentabilité des entreprises luxembourgeoises nous inquiète très fortement. La restauration de cette rentabilité doit être une priorité absolue pour le nouveau gouvernement. »
Coût du travail et conditions de financement, les nouveaux défis majeurs
La rentabilité des entreprises luxembourgeoises a été fortement affectée par les cinq indexations salariales appliquées entre octobre 2021 et septembre 2023. Le coût de la main-d’œuvre est désormais la préoccupation première des chefs d’entreprises. Invités à identifier les trois principaux défis qui se présentent à eux pour 2024, ils ont été 64% à citer le coût de la main-d’œuvre (13 points de plus qu’un an auparavant), loin devant le manque de main-d’œuvre qualifiée (55%). Autre préoccupation majeure qui progresse fortement : les conditions de financement (taux d’intérêts, retards de paiements…). 34% des entrepreneurs ont cité ce défi parmi les trois les plus importants à leurs yeux. C’est 10 points de plus qu’en 2022.
« Les entreprises luxembourgeoises subissent de plein fouet le « deuxième effet de l’inflation », analyse Carlo Thelen. Elles voient d’abord leur capacité à investir compromise par l’augmentation rapide et importante des taux d’intérêts, décidée par les banques centrales pour contrer l’inflation. Ensuite, si l’indexation salariale a des vertus en période d’inflation modérée, elle constitue un lourd fardeau pour les entreprises dès que les prix s’emballent. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre du débat électoral de cette année, la Chambre de Commerce a plaidé pour une évolution du système d’indexation des salaires basé sur trois piliers : une seule indexation maximum par an, une indexation plafonnée à partir de 1,5 fois le salaire mensuel médian et dégressive à partir de 4 fois ce salaire médian, et une indexation basée sur un panier durable. »
Financement des entreprises : des trous dans la raquette
Ce semestre, la partie thématique du Baromètre de l’Economie est consacrée au financement des entreprises. Les résultats démontrent le rôle majeur que jouent les banques dans le financement de l’économie, puisque 45% des entreprises répondantes disent avoir recours au financement bancaire, alors que 55% d’entre elles se financent exclusivement sur fonds propres. Mais les résultats sont très hétérogènes en fonction des secteurs. Ainsi, les entreprises ayant des besoins en investissement élevés comme l’industrie (61%) ou les transports (54%) sont plus nombreuses à avoir recours aux banques pour se financer.
22% des entreprises qui y ont recours se sont déjà vu refuser un financement. C’est beaucoup plus dans certains secteurs comme l’HORECA (41%). Principaux motifs de refus : l’absence de garanties suffisantes (37%), la jeunesse de l’entreprise (27%) et le manque de fonds propres (26%).
Les résultats confirment également que d’importantes difficultés d’accès à un compte bancaire subsistent au Luxembourg. Ainsi, 12% des entreprises interrogées déclarent avoir déjà rencontré des difficultés pour en ouvrir un, en particulier dans les secteurs de l’HORECA et des services non financiers. Parmi elles, une proportion importante (23%) indique que la banque n’a pas communiqué de motif particulier. Cela confirme que ce problème constitue un vrai frein à l’entrepreneuriat au Luxembourg, dans la mesure où une entreprise ne peut fonctionner ni exister sans compte bancaire. Dans son livret Maintenir et accroître l’attractivité et la compétitivité du modèle économique, publié à l’occasion des élections législatives, la Chambre de Commerce avait proposé l’instauration d’un droit à l’ouverture d’un service bancaire de base pour les professionnels. Le Luxembourg pourrait s’inspirer du dispositif belge, introduit en 2003 pour les particuliers et élargi aux entreprises en 2021. La Chambre de Commerce a également publié une brochure1 mettant en lumière les étapes clés de l'ouverture d'un compte professionnel en vue de soutenir les entrepreneurs.
« Ces résultats nous démontrent combien il est urgent de mener des réformes structurelles pour redonner du souffle à l’économie luxembourgeoise », note Carlo Thelen. Tout au long de la campagne électorale, la Chambre de Commerce a plaidé pour des mesures fiscales très ciblées à destination des PME. Ces mesures pourraient aider les entreprises à attirer et fidéliser les talents, les soutenir dans leurs transitions digitale et environnementale, les encourager à investir et stimuler l’entrepreneuriat. Un vif point d’inquiétude concerne aussi la modernisation du droit de la faillite. Malgré les modifications apportées par une nouvelle loi, il reste des points d’améliorations qui sont d’autant plus pressants au regard des difficultés économiques.»
« Nous appelons à la reconnaissance d’un véritable droit à la seconde chance et plaidons pour un choc positif de simplification administrative. En un mot : il faut redonner de la compétitivité à nos entreprises. C’est désormais la responsabilité du prochain gouvernement. », conclut le Directeur général de la Chambre de Commerce.
Et les entreprises européennes dans tout ça ?
Comme chaque année, les résultats du Baromètre de l’Economie contribuent à nourrir l’Eurochambres Economic Survey 2023 [2]. Suite à une chute inédite de la confiance des entreprises enregistrée en 2022, les 43.036 répondants issus de 27 pays ayant participé à cette enquête se préparent à affronter une nouvelle année difficile. Si les entreprises européennes sont légèrement moins pessimistes pour 2024 que pour 2023 s’agissant des ventes au niveau national, de leurs perspectives d’exportation, de l’évolution de l’emploi et de leurs investissements pour les mois à venir, le climat des affaires reste dégradé et incertain. La baisse de confiance des entrepreneurs est toutefois plus marquée au Luxembourg qu’en France et en Allemagne.
A l’échelle européenne, les anticipations pour 2024 s’agissant des ventes au niveau national restent pratiquement inchangées par rapport à celles pour 2023. Toutefois, la hausse conséquente des prix à la consommation et leur maintien à des niveaux élevés, ainsi que le recul de la consommation privée pèsent sur les ventes au niveau national de certains pays, notamment de l’Autriche et la France. Les perspectives du Luxembourg pour les 12 prochains mois s’améliorent très légèrement.
Pour ce qui est des investissements, la crainte de nouveaux chocs, des taux d’intérêts en hausse continue et des prix élevés de l’énergie freinent les entrepreneurs et dirigeants d’entreprises dans leurs projets. Les résultats de la France et de l’Allemagne, tout comme ceux du Grand-Duché, sont en baisse par rapport à l’édition précédente de l’enquête Eurochambres. Dans ce contexte, l’absence de visibilité sur l’évolution de la politique monétaire de la Banque centrale européenne au cours des prochains mois constitue une source d’incertitude supplémentaire.
En outre, l’accès abordable à l’énergie et aux matières premières, le coût du travail et le manque de main-d’œuvre qualifiée constituent les trois principaux défis identifiés pour 2024 au niveau européen. Leur maintien dans le top 3 des préoccupations des entreprises pour la 3ème année consécutive reflète la persistance de ces enjeux. Fait marquant, l’accès au financement ne constitue pas un défi majeur pour nombre d’entreprises européennes, contrairement à la situation au Luxembourg.