IMD World Competitiveness Yearbook 2022
2020, 2021 et maintenant 2022 sont des années de grands remous pour la conjoncture économique et la compétitivité. Dès lors, la perte d’un rang du classement du Luxembourg au sein du World Competitiveness Yearbook (WCY) de l’institut suisse IMD[1], pour se situer en 13ème position lors de cette nouvelle édition, est un enseignement important sur la capacité de l’économie luxembourgeoise à renforcer sa compétitivité durant cette période. L’indicateur que tous les économistes observent à l’heure actuelle est le taux d’inflation. L’augmentation des prix à des niveaux non atteints depuis des décennies ne sera pas sans conséquence sur le pouvoir d’attraction, de progression, voire d’innovation, des différentes économies. Le Luxembourg, caractérisé par des mécanismes automatiques d’ajustements des salaires et des prestations sociales aux prix et par une forte tension démographique sur son territoire et ses infrastructures, fait face à un défi encore plus important que la plupart de ses concurrents. Est-ce le signal envoyé par des dirigeants d’entreprises plus sévères que l’an passé sur les performances compétitives du Grand-Duché ?
Le rapport d’IMD montre pourtant que le Luxembourg dispose de fondements compétitifs solides. L’économie luxembourgeoise reste parmi les plus stables au niveau des finances publiques, malgré les importantes dépenses entreprises durant la crise Covid. Le rebond d’activité a été manifeste en 2021, malgré une baisse bien moindre que dans la plupart des autres économies en 2020. Cette bonne performance s’observe aussi s’agissant du commerce extérieur et des investissements internationaux. Toutefois, les bons résultats d’aujourd’hui n’augurent pas ceux de demain et notamment ne disent pas si les graines semées sont les bonnes. Ainsi, l’éducation et les talents, l’innovation, les transitions écologiques et digitales, les pratiques de gestion des entreprises, sont autant de domaines où le Grand-Duché doit progresser pour affronter mieux que les autres les crises qui viendront.
L’évolution du classement général du WCY en un clin d’œil
L’inflation et les vents contraires de 2022
Dans son rapport, l’institut IMD évoque le contexte particulier de l’année 2022 et les vents contraires à traverser pour la compétitivité des pays. La prolifération des vaccins a permis une reprise économique très dynamique dans le monde entier (qui totalise une croissance du PIB de +5,6% en moyenne), croissance qui a aussi donné lieu à de fortes pressions inflationnistes, provoquées notamment par la persistance de goulots d'étranglement dans les chaînes d'approvisionnement. La guerre en Ukraine a contribué à entretenir et renforcer cette inflation.
L’enquête, menée auprès des dirigeants d’entreprises dans le monde entier, s’intéresse aux tendances les plus importantes pour 2022 en lien avec la compétitivité. Les pressions inflationnistes (50%), les conflits géopolitiques (49%) et les goulots d'étranglement de la chaîne d'approvisionnement (48%) ressortent fortement et représentent des défis qui n’existaient pas, il y a encore un an. Le travail à distance et les nouvelles formes de travail sont aussi fortement cités.
Les coûts, point d’attention de la compétitivité luxembourgeoise
En conséquence de ce nouveau contexte, la compétitivité-coût gagnera encore en importance dans les années à venir, ce que note d’ailleurs les dirigeants luxembourgeois interrogés. Le Luxembourg figure aujourd’hui parmi les économies où le coût horaire est le plus élevé dans l’industrie (55ème), tandis que les coûts salariaux unitaires pour l'ensemble de l'économie ont progressé de 1,27% en un an (27ème). L’économie luxembourgeoise est aujourd’hui 57ème en matière de rémunération des professions de services et 54ème pour la rémunération du management, ce qui montre le niveau important des salaires (et donc du coût du travail). L’évolution des prix est un point faible de la compétitivité luxembourgeoise qui s’aggrave chaque année, avec notamment une 51ème place pour le pilier « Prix » en 2022 et une 39ème position pour le taux d’inflation. Contenir la spirale inflationniste et ses effets est une priorité pour maintenir la compétitivité-coût, notamment pour les coûts salariaux.
Des doutes sur la capacité des entreprises à performer dans un contexte multi crises
Alors que le PIB luxembourgeois avait fortement rebondi en 2021 et que 2022 débutait sous le signe d’une confiance retrouvée, les entreprises sont confrontées au retour de l’incertitude, du fait de l’invasion russe en Ukraine et de ses effets délétères sur le prix des matières premières (énergie comprise) et les chaînes d’approvisionnement déjà tendues. L’enquête auprès des dirigeants d’entreprises, initiée le 17 février 2022 (soit quelques jours avant l’invasion de l’Ukraine) indique l’émergence de nouvelles préoccupations. Faisant suite à une embellie l’année passée, les résultats de l’enquête portant sur les pratiques managériales, notamment, pointent à la baisse. Les dirigeants d’entreprises interrogés sur l’agilité des entreprises font passer le Luxembourg de la 21ème position (2020), à la 11ème (2021), puis à la 30ème (2022). Cette dynamique en dents de scie, avec une chute abrupte du classement cette année, est également visible sur l’indicateur « évolution des conditions de marché », les entreprises rencontrant davantage de difficultés à s’informer sur le sujet (22ème en 2020, 16ème en 2021, 38ème en 2022), tout comme sur leur capacité à réagir rapidement aux opportunités et menaces (+6 places de 2020 à 2021 ; -37 rangs entre 2021 et 2022).
Les 4 défis en 2022 pour la compétitivité du Luxembourg
- Atténuer les effets de la hausse des taux d'inflation (y compris la flambée des prix des matières premières et des prix de l'énergie) sur la rentabilité des entreprises et le pouvoir d'achat des ménages.
- Accélérer la transition verte et donc la transition vers une économie durable et décarbonée, via le développement des écotechnologies.
- Passer d'une économie extensive à une économie caractérisée par une croissance plus qualitative, basée sur un cycle de développement circulaire.
- Répondre aux difficultés rencontrées par les entreprises pour trouver et retenir les talents à court et à plus long terme.
Les défis ont été proposés par la Chambre de Commerce à l’institut IMD en tant que partenaire institutionnel du classement pour le Luxembourg.
Education et talents en 2022 : état des lieux et pistes de réflexion
Le Luxembourg est un pays hautement compétitif en termes d’éducation/attraction des talents par certains égards, mais peine cependant à surmonter ses points faibles, qui se retrouvent dans les éditions du classement IMD d’une année à l’autre. Au regard des difficultés croissantes des entreprises à attirer et garder des talents, alors qu’apparaissent de nouveaux besoins en compétences pour mener à bien la double transition digitale et environnementale et que le télétravail amène à repenser l’organisation même du travail et les lieux où il est exercé, le sujet prend une nouvelle résonnance.
Le Grand-Duché jouit d’une forte attractivité économique (7ème en 2022 sur l’attractivité du pays pour les étrangers hautement qualifiés) et peut se prévaloir d’un taux d’emploi (en pourcentage de la population) très élevé (76,7% en 2021) avec ses quelque 208.000 frontaliers qui y travaillent. Malgré la crise Covid, l’emploi progresse fortement (+2% en 2020 ; +3% en 2021) et le taux de chômage se maintient sous la barre des 7% depuis 2015. La dynamique démographique (augmentation de la population de 23% en 10 ans, de 2012 à 2022) constitue un atout additionnel, sachant que le stock de main-d’œuvre étrangère représentait 57,6% de la population en 2020. Sur le volet éducatif, le système scolaire luxembourgeois se distingue par des ratios élèves/enseignant dans le primaire et le secondaire parmi les plus faibles au monde (respectivement 1er et 7ème sur les 63 économies incluses dans le classement IMD). Les dépenses publiques par élève/étudiant y sont très élevées et progressent d’une année à l’autre, correspondant à plus de 4 fois la moyenne des 63 pays en 2019. A cela s’ajoute un niveau élevé en langue (le Luxembourg est 6ème pour cet indicateur), de très bonnes performances pour la part des femmes diplômées de 25-34 ans (52,5% des diplômés en 2020, 11ème) et une forte mobilité internationale de ses étudiants (19,7 étudiants pour 1.000 habitants étudient à l’étranger).
Si l’on peut se réjouir de l’ouverture du système éducatif luxembourgeois à l’international et de ses atouts en termes d’encadrement et de maîtrise des langues étrangères, il convient de garder à l’esprit une problématique essentielle de la compétitivité du Grand-Duché : le lien entre formation/compétence d’un côté et besoin des entreprises de l’autre. Dans un marché du travail tendu, les dirigeants d’entreprises craignent davantage que par le passé que l’exode des « cerveaux » (personnes à haut niveau d’études et qualifiées) n’affecte la compétitivité du pays, le pays passant de la 12ème place en 2021 à la 23ème en 2022. Par ailleurs, ils disent avoir de plus en plus de mal à recruter des ingénieurs qualifiés et des personnes ayant des compétences digitales et techniques. Le Luxembourg se situe à la 51ème position concernant le pourcentage de diplômés en sciences (19% en 2019, en dessous de la moyenne des 63 économies qui est de 24,7%). Leur difficulté à trouver des managers seniors expérimentés (- 8 rangs en une année) et le relatif faible taux d’activité des femmes (39,5% de la population active en 2019 ; 51ème) constituent des facteurs aggravants. L’enjeu est donc double : mobiliser les ressources présentes sur le territoire et promouvoir les cursus scientifiques, d’une part ; renforcer l’attractivité du Luxembourg pour attirer et garder les profils indispensables au maintien de la compétitivité luxembourgeoise, d’autre part. Des pays pionniers tels que l’Islande, la Suisse, le Danemark ou Singapour pourraient utilement servir de sources d’inspiration.
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Auteurs: Affaires Economiques, Chambre de Commerce Luxembourg
Contact: eco@cc.lu
[1] Depuis 1989, l’institut suisse IMD (International Institute for Management Development) analyse la compétitivité de plus de 60 pays. Le classement est basé sur des indicateurs statistiques (hard data) et sur l’opinion des décideurs économiques et des dirigeants d’entreprises. L’enquête est coordonnée par la Chambre de Commerce pour le volet luxembourgeois. Le classement IMD repose sur 250 indicateurs rassemblés sous quatre piliers : les performances économiques, l’efficacité des pouvoirs publics, l’environnement des affaires et la qualité des infrastructures.